B-Movie Land: La Femme Guêpe (Roger Corman, 1959)

Enfin ! Il est venu l’heure, sonnez trompettes et clairons, nous allons parler d’un vrai nanar ! Après deux critiques mi-figue mi-raisin sur deux séries B compétentes mais inégales, il est bon de tomber sur un véritable ratage filmique. Une production Roger Corman qui plus est !

Qu’on se la tienne pour dite, Corman est un pape du cinéma. Pas seulement du cinéma de genre ou de la péloche de Drive-In dont ce fut pourtant son fonds de commerce, mais bien du cinéma tout court. Sans Roger Corman, nous n’aurions probablement jamais pu voir naître des légendes comme Coppola, Scorsese, James Cameron, Peter Bogdanovitch ou Joe Dante. Corman donnera à Jack Nicholson ses premiers rôles et à James Horner l’occasion de composer ses premières bandes originales.

La technique de Corman était de tourner vite et pas cher, avec de jeunes passionnés derrière la caméra. Corman c’était une école et un savoir-faire, mais aussi un défi lancé à l’esprit de la débrouillardise. Avec une telle philosophie, il n’était pas rare que les films sacrifient la qualité au profit de l’efficacité. D’autant que Corman s’est principalement illustré dans le cinéma d’exploitation, d’horreur et de science-fiction.

Sorti en 1959, La Femme Guêpe semble particulièrement fauché. Après une scène d’introduction tournée en extérieur dans ce qui doit passer pour un centre d’apiculture, la totalité du métrage se déroulera en studio, figurant les bureaux d’une entreprise, un lit d’hôpital, un laboratoire ou un bar. L’unique plan censé se dérouler en ville sera tourné en gros plan sur un bord de trottoir, laissant l’accident de voiture se produire hors-champ. Les vues de la ville sont très clairement des photographies agrandies accrochées aux fenêtres.

Le tournage n’a très probablement pas excédé une semaine, si ce n’est moins. Le choix du noir et blanc est lui aussi économique, en plus de faciliter l’illusion des rares moments sanglants. Comme c’était la tradition, l’affiche du film promet bien plus que le métrage lui-même.

Mais quid de l’histoire me direz-vous ? Le docteur Zinthrop (Michael Mark), de nationalité incertaine, est remercié de son poste au centre d’apiculture suite à ses expériences sur la « gelée royale » de guêpe alors qu’il était censé s’occuper des abeilles. L’entomologiste dans la salle s’esclaffe ! La confusion entre les espèces sera d’ailleurs une constante, les seuls insectes présents à l’écran étant clairement des abeilles, comme c’est le cas dans le générique bourdonnant. Le concept de cette « gelée » n’est pourtant pas sans mérite, cette substance étant effectivement utilisée dans certains produits de beauté et autres régimes.

Zinthrop propose ses services à Janice Starlin (Susan Cabot), PDG d’une grande entreprise de produits cosmétiques dont elle fut aussi longtemps l’égérie. Seulement voilà, les années et la société « âgiste » sont cruelles et Starlin se fait trop âgée aux yeux de ses collaborateurs masculins pour continuer à utiliser son faciès comme argument de vente. On soupçonne que la jeune secrétaire de Starlin pourrait être le nouveau visage de la compagnie.

Si le propos de fond, clairement féministe, est assez en avance sur son temps, la logique est claudicante. Pourquoi ne pas simplement utiliser la même photo chaque année, voire un dessin plutôt que de soumettre l’image de la firme au temps ? La naïveté du film sur le traitement de son problème initial est autant charmant que risible.

Au moyen d’un hamster puis d’un chiot, Zinthrop fait à Janice la démonstration de son sérum à base de gelée royale de guêpe, permettant le rajeunissement des tissus. Là encore le montage trahit l’extrême pauvreté du budget, la transformation se produisant hors-champ, soutenue par une musique illustrative.

Janice Starlin n’en pas moins convaincue et commence sa cure, qui a pour effet immédiat de la libérer du maquillage au crayon noir servant à la vieillir, et de révéler son véritable minois, tout à fait charmant. Après une série de montages d’activités en entreprise digne d’un film promotionnel, et de quelques discussions au bar entre employés à l’air pénétré, l’élément perturbateur arrive enfin. Zinthrop se fait attaquer par son chat, à qui il avait injecté le sérum. Contraint de tuer la pauvre bête, le bon docteur décide de quitter la firme, pour être ensuite heurté par une voiture, évidemment hors-champ. Là encore, les effets sonores pallient à l’absence de budget.

Inquiète et désorientée par cet accident, Janice redouble d’injections et les effets secondaires ne tardent pas à se manifester. Notre PDG en quête de jouvence se transforme ainsi, après une crise de migraine annonciatrice, en monstre insectoïde suceur de sang.

Vous vous doutez que la transformation se fait hors-champ et qu’au plan suivant, la femme-guêpe promise par le titre se résume à un masque rigide de mouche noir et des mitaines assorties pour figurer les pattes griffues.

A partir de là, les événements s’enchaînent de manière mécanique, avec séries de meurtres, le plus souvent hors champ ou à grand coup de sirop de chocolat pour évoquer le sang, jusqu’à ce que notre pauvre Janice succombe, défenestrée après avoir reçu une fiole d’acide en plein dans le masque. L’actrice Susan Cabot sera d’ailleurs blessée par le produit utilisé. Le bellâtre de service sauve la belle secrétaire, la morale est sauve même si l’on ne peut s’empêcher de sentir chez Corman une note d’ironie cruelle.

La Femme-Guêpe peut être vu comme la limite du modèle Corman de l’époque, où malgré plusieurs trouvailles pour palier au budget rachitique, la pauvreté de l’ensemble saute aux yeux du spectateur moderne. Ajoutons à cela plusieurs scènes de palabres devenant comiques par leur vacuité et un enchaînement de scènes parfois brutal, et vous avez un sympathique petit nanar, parvenant à fusiller un postulat pourtant intéressant. Les acteurs restent cependant plutôt dignes, à commencer par Susan Cabot dans le rôle principal.

Le film aura droit à un remake en 1995, dans le sillage de La Mouche de Cronenberg. Le film de Corman s’inspirant de La Mouche Noire de Kurt Neuman sorti un an auparavant, la symétrie n’en est que plus logique. Ce remake ne semble pas mieux réussi, et préfère jouer la carte de l’érotisme facile, avec une femme guêpe certes impressionnante mais montrant clairement ses attributs mammaires. Il faut dire que le réalisateur, Jim Wynorski, est un fieffé érotomane, spécialiste du « plan nichon ».

Pour voir un film potable usant d’un postulat similaire à celui de Corman, procurez-vous le méconnu The Rejuvenator (1988) de Brian Thomas Jones avec Vivan Lanko dans le rôle d’une actrice vieillissante cruellement évincée par l’industrie et qui trouve dans la formule chimique d’un certain docteur Ashton la promesse d’une nouvelle jeunesse. Vous vous doutez bien que le sérum aura de terribles effets secondaires.

Au risque de changer radicalement le ton de cette chronique, Il est difficile de ne pas conclure sans parler du triste destin de Susan Cabot. Née Harriet Pearl Shapiro, l’interprète de la femme guêpe fut en effet une actrice de westerns prolifique dans les années 50, avant de retourner au théâtre. Sa participation au film de Corman sera l’une de ses dernières contributions au septième art avant de vivre les deux décennies suivantes dans un isolement quasi-total, ponctué de crises sévères de dépression, peurs irrationnelles et pensées suicidaires. Orpheline et ayant grandi dans 8 foyers différents, elle fut victime d’abus sexuels dans sa jeunesse dans le Bronx, ce qui explique ses troubles psychologiques.

Les épreuves de Susan Cabot se transmettront à son unique enfant Timothy, atteint de nanisme et s’étant lancé dans le culturisme, dans le vain effort de gagner le respect de sa mère et guérir de ses complexes. La relation entre mère et fils se détériorera de manière définitive, jusqu’au jour où Timothy battra à mort sa génitrice devenue agressive à l’aide d’une barre d’haltères. Susan Cabot n’avait que 59 ans.

Une fin horrible mettant un point final à une existence déjà bien tragique, et qui raisonne étrangement avec le rôle de Janice Starlin, celui d’une femme en proie à des démons intérieurs nourris par une société cruelle, la menant à des crises de violences qui scelleront son destin.

Le cinéma cache bien des histoires sordides, et la série B ou le Nanar n’y font pas exception. Pour chaque « success story », combien de destins brisés ? Si La Femme Guêpe n’est pas le meilleur écrin pour la postérité de Susan Cabot, cette production Corman n’en demeure pas moins le ticket pour l’immortalité, à celle qui fut si cruellement écartée des projecteurs par le poids de ses blessures.

B-movie land : Alligator de Lewis Teague (1980)

Alligator fait partie de ces films dont la nature nanardesque ne saute pas au premier coup d’œil et ne fait probablement pas l’unanimité. Alors bien sûr, dès qu’on parle de films de crocos anthropophages, on pourrait se dire qu’on est en terrain de connaissance. Mais ce serait oublier, tout comme pour le film de requins, qu’il y a un peu de tout dans le film de croco, de la série B grand style avec Lake Placid aux bas-fonds du 2-en-1 avec Crocodile Fury en passant par les direct-to-video de chez Asylum ou le conte noir à la Eaten Alive.

Le film que je vais vous chroniquer est associé à mes souvenirs d’enfance du vidéo-club de la station d’essence aux portes de ma ville natale. Il n’était pas rare que mon père et moi nous y rendions, les VHS neuves étant encore couteuses au milieu des années 1990. Parmi les rayons, la cassette de L’incroyable Alligator de Lewis Teague y figurait, dans un angle, tapis dans l’ombre comme le saurien présent sur sa jaquette, prêt à fondre sur le petit garnement que j’étais. Éprouvant déjà un amour certain pour les reptiles, je demandai à mon père de louer la VHS en question. La mémoire, compagne infidèle, me fait défaut et je ne sais pas si mon père avait accepté ou non. Toujours est-il que je revis plus tard le métrage en question, et que les étoiles dans mes yeux d’enfants se sont un peu éteintes.

Alligator fait partie de ces métrages frustrants dont le ton et la compétence générale du récit changent radicalement en cour de route. Un volte-face au mi-temps du récit n’est pas forcément une mauvaise chose, comme l’a prouvé From Dusk Till Dawn de Robert Rodriguez, mais un film c’est comme passer son L1 de conduite, faut savoir maîtriser son véhicule dans les virages. Leviathan avec Peter Weller est un autre exemple foireux, avec son copié-collé d’Alien mâtiné de The Thing relativement honnête avant de se terminer sur un happy end cartoonesque, bruitage d’uppercut en prime.

Mais nous ne sommes pas ici pour parler de mutants polymorphes. Revenons à nos crocos ! Ou pour être zoologiquement précis, à nos alligators. L’intrigue débute de façon quasi documentaire sur une démonstration dans un parc à reptiles. A la suite de ce petit spectacle, une jeune fille aussi blonde qu’angélique craque pour un bébé alligator à vendre (une autre époque décidément). Les parents une fois rentrés à la maison décident assez arbitrairement de se débarrasser de l’innocent reptile qui aurait mieux fait de tomber sur un promoteur de chez Lacoste. La pauvre bête est donc promptement « flushée » dans les toilettes pour finir son périple dans les égouts de Chicago.

Là, l’animal va se nourrir de carcasses d’animaux de laboratoire truffées d’une solution expérimentale de croissance destinée à augmenter la production de viande. Cette pitance frelatée va rendre notre saurien gigantesque et plus vorace que Depardieu devant un buffet moscovite.

Vous l’aurez compris, le film se base sur une légende urbaine américaine, à savoir que des alligators délaissés hantent les égouts des grandes métropoles. Ce parti pris est non seulement malin d’un point de vue scénaristique mais pertinent pour la forme du film qui se veut au départ réaliste. Les premières attaques du saurien abondent dans ce sens, le réalisateur ayant révisé ses classiques dont le maître-étalon du genre, Les Dents de la Mer.

Les hormones de croissances et autres saloperies dans la nourriture comme raison du gigantisme de la bête sont à la fois bien pratiques scénaristiquement et dans l’air du temps, inscrivant le métrage dans l’une des premières vagues écologistes d’Hollywood. Les stéroïdes auront décidément le vent en poupe puisque que Deadly Eyes, un film canadien d’attaques de rats l’utilisera aussi comme potion magique à faire grossir les rongeurs.

Les deux films développent la même idée selon laquelle l’homme en souillant la Nature précipite son propre châtiment.

Dans la grande tradition des films de bébêtes, les attaques de l’alligator progressent en termes de gravité, commençant par des chiens perdus, puis des ouvriers des égouts qui trouvent dans cette fin violente un point final à une existence bien saumâtre.

Mais vous savez ce que fait un égout ? Ben oui, tôt ou tard ça se déverse et fatalement on retrouve des petits bouts d’ouvriers flottant.

Il n’en fallait pas plus pour que l’agent David Madison (Robert Forster, plus tendrement viril que jamais) passe à l’action. Seulement voilà, Madison a un problème. Il a la réputation de se faire tuer tous ses coéquipiers, ce qui n’aide pas l’ambiance à la cantine du commissariat qu’on se le dise.

Notre Madison sera aidé par l’herpétologiste Marisa Kendall (la très choupette Robin Riker) qui s’avèrera n’être autre que la petite fille du prologue qui avait au départ acheté le bébé alligator. Le film n’aime pas le hasard et le fait savoir avec un manque de scrupules étrangement plaisant. Et comme il n’y a pas de hasard, personne ne sera surpris que le flic et la spécialiste des reptiles tombent amoureux et échangent des dialogues cousus de poncifs blancs. Ils auront même droit à un « third-act break-up » forcé au point que même les personnages s’en rendent compte avant de se réconcilier tout aussi brusquement pour finalement bouter le monstre.

La réputation de porte-poisse de Madison le rattrape lorsque son jeune co-équipier périt dans les mâchoires de l’alligator lors d’une visite aux égouts (fermés les week-end et les jours fériés). Vous me direz, l’alligator n’allait pas rechigner devant l’occasion d’ajouter un peu de poulet au menu.

Tout comme pour les Dents de la Mer, notre héros fait face à l’incrédulité de ses supérieurs hiérarchiques et la cupidité des puissants, incarnés ici par un certain Slade (Dean Jagger), promoteur influent et financeur des expériences qui créèrent le produit miracle responsable de la mutation du reptile. Je vous l’avais bien dit que ce film déteste le hasard !

La vérité éclate enfin lorsqu’un paparazzi mi-comic-relief mi-emmerdeur du nom de Thomas Kemp (Bart Braverman) va où le mène sa terrible curiosité-que-même-ma-maman-m’a dit-un jour-que-c’était-un-vilain-défaut-pas-beau. Et où elle le mène sa vilaine curiosité ? Dans les égouts fatalement. Inutile de vous le dire – mais le je fais quand même, ça s’appelle une prétérition – que le reporter va se faire croquer, mais pas avant de faire des clichés prouvant l’existence de la menace.

L’affaire devient publique et la police se mobilise pour une chasse au sac-à-main de grande envergure. Hélas leur tentative de rabattage mène au résultat inverse, poussant l’alligator à sortir des égouts et commencer ses ravages sur la surface.

Et c’est là que film bascule irréversiblement vers le nanar. Le choc est aussi grand que si vous visionniez le premier Dents de la Mer pour ensuite passer au quatrième opus à la moitié du film. Cette drastique décente en flèche se traduit notamment par les effets spéciaux. Jusque-là notre écailleux compère était figuré par les plans furtifs d’un authentique alligator, sa véritable taille masquée par un jeu efficace de montage.

Or, lorsque le reptile surgit de la bouche d’égout en faisant trembler la chaussée du quartier, il s’agit alternativement d’une animatronique un peu grotesque ou d’un véritable animal évoluant dans un décor complètement factice destiné à le faire apparaître plus grand qu’il ne l’est. On se croirait revenu aux années 1950 et à leurs adaptations fauchés du Monde Perdu de Conan Doyle, où des lézards maquillés se faisaient violenter dans des décors miniatures. Rassurons immédiatement la SPA, l’Alligator de notre péloche ne semble pas avoir été martyrisé. Cette précaution n’aide hélas pas ces plans à convaincre le spectateur, tant ils sont mous en comparaison de la première moitié pleine de suspense.

Maintenant que le monstre est lâché en pleine ville, il est temps d’appeler du renfort.

Le film persiste ainsi dans ses emprunts au chef-d’œuvre de Spielberg en faisant intervenir un simili-Robert Shaw dans la personne du colonel Brock interprété par un briscard du nanar, l’inégalable Henry Silva* dont le visage à la fois creusé et bouffi l’a abonné aux rôles de méchants ou de durs-à-cuire un peu tarés. Il donne le meilleur de lui-même dans ce rôle de chasseur de gros gibier, c’est-à-dire qu’il en fait des caisses. C’est à nouveau dommageable pour la crédibilité du film mais assurément un argument nanar.

Silva n’aura pas beaucoup de temps pour cabotiner, étant assez promptement dévoré par l’animatronique à grand renforts de mâchoires mécaniques. L’alligator, décidément glouton, ne s’arrête pas là et va jouer les pique-assiettes dans un mariage bourgeois organisé dans la demeure de qui, je vous le donne en mille, Slade le promoteur véreux ! Comme de juste, il se fera dévorer, dans une scène mêlant justice poétique et grotesque semi-volontaire. La réalisation semble se casser la figure comme un marathonien trop confiant qui s’épuise après les 100 premiers mètres.

La fin arrive sans grandes trompettes et avec beaucoup d’évidence. La scientifique et le flicard vont appâter le saurien décidément insatiable et le faire exploser comme il faut dans les égouts, concluant ainsi la re-pompe des Dents de la Mer mais sans le « smile son of a bitch » hélas. Et pourtant Dieu sait que le sourire d’un alligator ficherait des complexes à un dentiste.

On voit par ma lassitude à raconter le climax que le film déçoit. Bien sûr un nanar n’est pas censé être décevant au risque de sombrer dans les méandres du navet. Et l’Incroyable Alligator n’est pas un navet. Ce n’est même pas objectivement un mauvais film. Hélas, la présentation est à ce point bipolaire entre une première moitié très honnête et une deuxième presque complètement à l’Ouest qu’on ressent comme une sorte de camouflet. Un tel choc peut provoquer l’hilarité, surtout quand le film renonce à la modernité et à la suggestion pour jouer les gros bras avec ses effets spéciaux déjà datés. A croire que les producteurs auraient influé sur cette deuxième partie.

Je suis apparemment plutôt seul dans cette appréciation en demi-teinte de L’incroyable Alligator, tant les amateurs de films Bis le notent souvent assez favorablement. Il faut dire que le film fut adoubé par Quentin Tarantino lui-même. Selon lui, le personnage joué par Robert Foster dans son adaptation de Jackie Brown n’est autre que le même policier d’Alligator, des années plus tard. Solitaire et désabusé, son idylle avec l’herpétologiste n’aura visiblement pas duré. Il n’en fallait pas plus pour ajouter à cette série B écailleuse une aura de film culte.

Le film possède une suite, Alligator II : The Mutation, qui semble n’être qu’une moins bonne copie du premier. Inutile de dire que cela ne m’allèche pas vraiment.

Le premier Alligator avait le potentiel pour être le chef-d’œuvre du film de crocos, un sous-genre qui en a cruellement besoin. C’est peut-être pour ça que je ne peux m’empêcher d’être triste au visionnage du film mais aussi pourquoi j’y reviens régulièrement, comme une relation toxique dont on sait qu’elle nous fera souffrir mais dont les belles apparences flattent nos faiblesses.

Que voulez-vous, quand on a le saurien dans la peau, c’est dur de ne pas se laisser séduire par un sourire aguicheur ou une larme de crocodile.

*Henry Silva nous a quitté en 2022. Cette chronique lui est rétroactivement dédiée.

  • Guillaume Babey

B-movie Land : The Beast of Hollow Mountain

On n’insistera jamais assez sur le fait que ce qui compte pour faire un bon film réside moins dans son concept de départ que dans son exécution. A preuve, le film dont nous parlons ici est basé sur une idée du pionnier des effets spéciaux en Stop-Motion, Willis O’Brien. La fin de carrière du magicien de l’image par image ne sera pas des plus glorieuses (Black Scorpion) mais il n’aurait probablement pas apprécié le traitement que fit American international de son projet assez original pour l’époque de mêler Western et dinosaures.

O’Brien était censé se charger des effets spéciaux de cette co-production américano-mexicaine mais fut remplacé pour des raisons inconnues. Mon petit doigt me dit que le producteur et co-directeur Edward Nassour a voulu faire des économies. Le film ayant été filmé deux fois, en anglais et en espagnol aux studios Churubusco à Mexico City, on peut comprendre les tentatives de réduction de budget.

Or donc, trêve de préambule, l’histoire raconte avec lenteur les déboires d’éleveurs de vaches au Mexique dont le bétail puis les employés se font dévorer par un vorace dinosaure, survivant des âges farouches. Tellement farouches à vrai dire que le monstre en question n’apparaitra pas avant les 20 dernières minutes du métrage.

Mais de quoi le reste du film peut-il bien parler dans ce cas ? Eh bien d’un triangle amoureux entre un bellâtre Américain (Guy Madison, plus yankee comme blase, tu meures), une douce señorita (Patricia Medina) et son fiancé (Eduardo Noriega, non pas celui-là) moustachu et jaloux bien sûr ! Ajoutons à cela un père alcoolique (Pascual Garcia Peña) et son fils panchito (Mario Navarro), un duo qui se veut tantôt comique tantôt tragique et qui ne parvient souvent qu’à être pathétique tant l’humour est mal placé au vu des problèmes de boisson du père, et le tragique sabordé par une interprétation caricaturale.

Reconnaissons toutefois que le petit Panchito est assez attachant, surtout en comparaison du héros paternaliste et doucement condescendant, lançant à tous va des « adios amigo » pour faire genre. Et ce n’est pas son amitié sommes toutes bien superficielle avec son collègue Felipe (Carlos Rivas) qui changera quelque chose. Après quelques bombages de torses et insultes de coq effarouché, le jaloux Don Enrique provoquera l’Américain en duel au poing. Évidemment perdant, notre ombrageux moustachu déclenchera alors une émeute parmi les (stock-shots de) vaches qui envahiront la place publique durant le grand défilé afin de discréditer le gringo auprès de la populace. Montré en accéléré pour en accentuer la violence, cette cavalcade bovine en devient cartoonesque.

Entretemps, l’aviné Pancho se perdra dans les marécages, repère de la furtive « bête » dont il deviendra la victime, si l’on en croit son cri de terreur devant l’indicible. Sa fin qu’on espère violente nous est épargnée par un brusque hors-champ pudique. Toutes ces péripéties s’étendent et s’étirent, comme si le soleil de l’Amérique centrale avait ramolli la bande. Dommage car le Cinemascope sert plutôt bien les grandes étendues brûlées par le soleil mexicain et le Technicolor (pardon, De Luxe) apporte une touche de naïveté presque touchante à l’ensemble.

Mais pour le moment, rien de très jouissif me direz-vous. Et vous auriez raison. En matière de nanar, le film peut décevoir dans son ensemble, avec ses intrigues de soap opera et ses personnages moins profonds qu’une flaque d’eau sur le macadam. Heureusement pour nous, le troisième acte nous sauve de l’inertie. Reprenons les faits. La belle Sarita, dont le cœur en pince pour l’Américain de chromo, fuit la cérémonie de mariage sous le regard impuissant de sa dame de compagnie, dont les couettes ne conviennent pas à son âge. N’écoutant que son cœur dont on ignore décidément les raisons, Sarita cherche à rejoindre le blond objet de ses désirs.

Pendant ce temps, le petit Panchito tentant désespérément de trouver son père qu’il refuse de croire mort, s’enfonce plus avant dans les marécages où l’attend, enfin, la bête ! Et quelle bête ! Un dinosaure théropode (les paléontologues ne savent s’il s’agit d’un Tyrannosaurus pataud ou d’un Allosaurus revêche) à crocs de chiens et langue de Gene Simmons. Sérieusement l’effet le plus spécial du film doit être cette langue rose en pâte à modeler que le dinosaure darde à chaque mécontentement. La stop-motion, décidément plus « stop » que « motion » est très limitée et saccadée.

L’animal se dandine avec la grâce d’un habitué de Wallmart et son intégration aux prises de vues réelles vont vous faire décrocher le premier rire franc du film. Nous aurons tout de même droit à une attaque du prédateur sur une pauvre vache, elle aussi en pâte à modeler, offrant au spectateur un peu de tripaille dans un film très sage sur ce plan. La menace que représente La Bête est en fait si mal amenée que son arrivée soudaine si proche du climax parait d’autant plus incongrue.

Après une scène de siège où Sarita et Panchito, réfugiés dans une ferme, se défendent face aux assauts maladroits du dinosaure à langue agile, Le héros et le fiancé moustachu arrivent prêter main molle (je n’ose dire prêter main forte).

Ils tenteront de défendre leur peau tout en faisant une courte trêve qui se conclura par la mort du fiancé, étranglé à main nue (et écailleuse) par le saurien, ce qui est relativement original pour être souligné. Sans doute que de voir un humain dévoré dans un film en couleur serait mal passé auprès du public de l’époque, ou alors les animateurs du dinosaure n’en étaient pas capables.

Le cowboy parviendra à piéger le monstre en se balançant sur une corde au nez (mais pas à la barbe puisque l’animal n’est pas velu) du dinosaure qui s’enfoncera dans les marécages assez profond pour l’engloutir tout entier. La pauvre bête, se faire berner par une ruse d’école primaire.

Notre héros victorieux, sans obstacle entre lui et la belle, la serre dans ses bras tout en prenant sous son aile le petit Panchito. Le film se termine ainsi sur cet exemple de famille recomposée, comme il y en a presque toujours dans les films de dinosaures (visionnez l’ensemble de la franchise Jurassic Park, c’est une constante).

Le film est donc surtout un nanar par l’effet du temps et l’auto-sabordage de ses ambitions. Notons aussi une musique assez générique, tentant d’allier thèmes horrifiques à renforts de bois avec des instruments régionaux pour faire « couleur locale ». A ce compte-là, le film s’attirerait probablement les foudres de quelques activistes mexicains. The Beast of Hollow Mountain n’est pas horrible pour l’époque mais ses personnages en carton, ses enjeux de feuilleton du dimanche, sa morale classique et sa promesse d’un monstre préhistorique à peine tenue le rendent immanquablement risible. De plus, le choix de la couleur et d’un format « prestigieux » ne font que mieux ressortir les éléments les plus pauvres. D’autres séries B des années 50 ont eu la présence d’esprit de cacher leur misère derrière un noir et blanc parfois inspiré et un cadrage serré.

Ce film aura toutefois eu une utilité, celui de préparer la voie pour un autre film, lui aussi basé sur cette même idée de Willis O’Brien, avec son illustre disciple Ray Harryhausen aux commandes des effets spéciaux. Je parle bien sûr de la Vallée de Gwangi de 1966, classique de série B dinosauresque mêlant avec habileté les genres, là où The Beast of Hollow Mountain semble avoir peiné à équilibrer les éléments du scénario.

Mais c’est là la force du nanar, celui de figurer le contre-exemple, et qu’un bon film est avant tout une histoire d’équilibre.

  • Guillaume Babey