Jurassic World Fallen Kingdom: anti-spécisme, fatalisme et complaisance

Deuxième opus de la trilogie Jurassic World et cinquième de la franchise Jurassic Park, Fallen Kingdom sorti en 2018 avait confirmé les problèmes apparus dans le précédent volet de Colin Trevorrow tout en ajoutant de nouveaux.

Si le film a tenté, comme bien des suites, de faire toujours plus grand, plus gros, plus fort, ce fut en dépits du bon sens, accumulant les incohérences et les facilités. De toute cette bouillabaisse, on pourra néanmoins apprécier les quelques morceaux de drame humain subsistant de la réalisation soignée de J. A. Bayona, débauché par la Universal pour faire le film.  Il est cependant regrettable d’utiliser un réalisateur aussi distinct à si mauvais escient, et en retirant au maximum sa patte artistique.

Le fil rouge du film pose déjà un problème logique de taille. Les dinosaures de Isla Nublar, à présent libres de baguenauder sur l’île après la destruction de Jurassic World, sont à la merci d’un volcan venant de se réveiller. Cet élément est directement récupéré du roman d’origine Jurassic Park par Michael Chrichton. A Hollywood, rien ne se perd, et rien ne se crée.

Le monde débat sur la nécessité de sauver ces mutants préhistoriques ressuscités artificiellement ou de les laisser mourir et ainsi régler une fois pour toutes le problème.
Ian Malcolm, qui aura toujours incarné le pragmatisme, plus encore que le cynisme, est formel. Ces êtres ne sont pas des espèces que nous aurions poussé vers l’extinction mais le résultat d’une exploitation abusive de la bio-technologie.

Seulement ce n’est pas Malcolm que l’on suit, puisqu’il ne s’agit que d’un caméo un brin putassier, mais bien nos protagonistes du premier film, Claire Deering et Owen Grady, accompagné de quelques nouveaux personnages fonctionnant surtout comme ressorts comiques. Claire est à la tête d’un mouvement pour sauver les dinosaures de Nublar et c’est ainsi que le fourbe Mills propose un plan d’action à notre amoureuse des dinos, utilisant la naïveté de nos pauvres nigauds de héros pour récolter les dinosaures du parc à des fins moins altruistes que promises. Le film cherche clairement à nous faire passer un discours sur la façon dont notre société ultra-libérale néo-capitaliste considère les animaux, à savoir comme rien de plus que de la marchandise exploitable à l’envie. Le discours n’est pas nouveau – The Lost World : Jurassic Park disait peu ou prou la même chose – mais peut être pertinent, s’il n’avait pas comme objet des êtres génétiquement modifiés qui n’ont jamais été conçus pour vivre dans le monde extérieur.

Le climax du film est symptomatique de cette dissonance. Alors que les dinosaures sont menacés de mourir d’un gaz toxique, Claire refuse au dernier moment de presser le bouton pour ouvrir la porte du hangar et ainsi les libérer. Les dinosaures sont sauvés in extremis par Maisie, la petite fille révélée plus tôt comme étant elle-même un clone. Si cela ne suffisait pas comme symbolique, elle le dit au spectateur, histoire de bien insulter son intelligence : « Ils sont vivants, comme moi ».
Non seulement on serait tenté de rire de ce raccourci, mais ce geste et cette déclaration ont un arrière-gout de discours anti-avortement assez nauséabond, surtout dans une Amérique encore gouvernée par Trump au moment de la sortie du film

Surtout, cela achève de faire de Fallen Kingdom une fable anti-spéciste, où le simple fait de tuer des animaux ou plus précisément de les laisser à leur triste sort, est vu comme horrible et insensible. La vie animale doit être préservée à tout prix, même en dépits du bon sens. Tous les films hollywoodiens sont des manipulateurs émotionnels et s’adaptent à ce qui fait tiquer leur public selon les modes, car oui, l’affect aussi a ses modes.
Or nous nageons actuellement dans un océan de diatribes activistes débridées où toutes les causes sont bonnes mais aucune méthode ne l’est, suite à une absence de réflexion pragmatique. On ne réfléchit plus que par l’affect, comme un enfant triste que son chat fut piqué pour abréger ses souffrances.

C’est d’autant plus risible que l’un des reproches récurrents faits aux deux films Jurassic World est le traitement anthropomorphique de ses animaux stars, détruisant tout sentiment d’authenticité, même face aux hybrides monstrueux que sont l’Indominus rex et l’Indoraptor. Nous savons que le deuxième film était purement transitoire, servant à nous emmener là où Trevorrow voulait nous amener depuis le début, à savoir les dinosaures vivant dans le monde des humains. Il est cependant déplorable que pour arriver à ce stade des événements, il faille faire tant de pieds de nez à la logique, dépenser tant de temps et d’argent, et perpétuer un discours actuel des plus idiots, plus proche des véganes extrémistes et de PETA que de Green Peace et Greta Thunberg.

Ce climax pose un autre problème, encore plus insidieux qu’il est partagé par plusieurs blockbusters créés à l’ère du réchauffement climatique. Il y a dix ans, on voyait encore l’apocalypse environnementale comme une menace concrète mais face à laquelle il restait suffisamment de temps et de ressources pour l’endiguer. Aujourd’hui le discours a changé. L’apocalypse est déjà là, le mal est fait, et nous ne pouvons plus rien y faire. Il est trop tard et nous devrons vivre avec*. Ce constat dénué d’espoir ou d’illusions peut avoir du mérite dans un film, même populaire et boursoufflé, pour autant que la métaphore fonctionne.

Ici, l’urgence n’est pas climatique, mais technologique. La génétique appliquée au clonage débridé est vue comme une boîte de Pandore impossible à refermer. Cependant, une technologie reste un outil et un outil n’existe que par son usage, ce qui est l’exact contraire du réchauffement climatique qui n’existe maintenant plus que par notre inaction.

Jurassic World Fallen Kingdom invite à l’inaction, à laisser la situation empirer sous l’autel de la sacro-sainte loi du chaos. Cette notion qui exprimait judicieusement la dynamique du film originel de 1993 est à présent une excuse pour passer d’un point a à un point b. Godzilla King of Monsters de Mike Dougherty épousait la même mentalité, avec ses Kaiju restaurant faune et flore sans que l’homme ne soit plus responsable de rien. Ces films répondent à la même logique, à savoir de considérer l’homme comme n’ayant aucun réel contrôle sur le monde qui l’entoure. On aurait pu y voir une preuve d’humilité mais de la part de grands studios américains eux-mêmes possédés par des magnats de la finance et de la télécommunication, on peut soulever un sourcil suspicieux.

La fable de l’homme sans contrôle est un discours déresponsabilisant, confortant les masses à l’idée que nos actions n’ont au final que peu de conséquences, peu d’importance, peu de valeurs. Cette conviction nous contraint, comme dans Children of Men d’Alfonso Cuaron, à « continuer comme avant » même si le monde s’effondre autour de nous. De là à dire que cette soumission complaisante au système par certitude de ne pas avoir de contrôle sur les choses arrange bien nos dirigeants, il n’y a qu’un pas, que je vous laisserai, chers lecteurs et lectrices, le choix de franchir.

*Le dernier opus Jurassic World Dominion, sorti en 2022, perpétue ce discours irresponsable vouant l’humanité à cohabiter avec des espèces disparues parfaitement inadaptées à notre monde. Le film possède bien d’autres défauts d’écriture et agite un hochet nostalgique devant son public, en plus de complètement réécrire certains éléments importants de la trame du précédent opus.