Copropolis

L’apocalypse étant dans le vent, j’imagine un monde où, lorsque l’eau sera vraiment devenue une denrée rare, les toilettes à chasse d’eau seront interdites. Bien sûr les gouvernements tenteront de temporiser en remplaçant d’abord l’eau potable des toilettes actuelles par de l’eau de récupération. Mais on sait bien que les demi-mesures ne conviennent qu’au demi-portions !

Bientôt ce sera toilettes sèches pour tout le monde, ce qui implique la fin de l’individualisme sanitaire, car il est plus efficace et économique de pourvoir une seule toilette sèche pour tout un appartement. Nous serons revenus à la bonne époque des waters séparées, dans l’encoignure de la cage d’escaliers.

Peut-être sera-ce le grand retour des toilettes publiques ! Les toilettes sèches seront réparties dans des zones stratégiques avec des horaires précis afin de ne pas causer de bouchons ou de débordements. Nous reviendrons à la nomenclature médiévale lorsque certaines rues s’appelaient « rue merde ». Au moins on saura où aller après la pause de midi et au retour d’un souper tardif. Les incontinents, éternels lésés, seront enfin soulagés et la patrie leur sera reconnaissante.

Le fumier humain ainsi obtenu pourra remplacer celui des bêtes, et servir également de carburant bio. Une triple solution à la crise énergétique ! De nouveaux emplois seront créés, le métier d’éboueur deviendra une position prestigieuse, le premier maillon d’une chaîne dont le produit final servira à alimenter nos machines, véhicules, éclairages publics et privés. Le secteur merde sera à la base de toute notre économie. Obsolète la Silicon Valley ! Place à la Crap Creek !

Bien sûr une telle manne attirera les capitalistes à la petite semaine, ceux qui sous couvert de prodiguer des services de qualité premium feront leur beurre sur les selles des autres, avec une exploitation de chieurs à la chaîne, gavés de diurétiques et de laxatifs pour tenir une cadence inhumaine. Un nouveau « colon-nialisme » à combattre. L’homme reste un bousier pour l’homme.

Les humains sont des créatures d’habitudes et certaines habitudes sont indécrottables. On aura des irréductibles, des bricoleurs qui tenteront de recréer les chasses d’eau pour leur confort personnel, détournant ainsi une ressource vitale et rare. Ils seront hors-la-loi, on fera la chasse aux chasses d’eau. Pas au karcher cependant, ce serait montrer le mauvais exemple.

D’autres refuseront le geste socialiste de mêler leur déjections à celles des autres dans le grand égalisateur de la toilette sèche où tous les étrons se valent. Ces individualistes du posage de pèche préféreront se retirer dans un lieu secret, loin de la grande miction urbaine.

Ils tenteront de démouler leur cake dans la sérénité d’un coin de nature tel un sous-bois ou les abords d’une rivière, nostalgiques qu’ils sont des petites éclaboussures flattant leur rectum après chaque impact. Une piètre consolation pour les fétichistes de la toilette japonaise.

Hélas, l’homme reste un singe et donc imite. Les solitaires du soulagement intestinal auront ainsi tôt fait de tous se rendre en forêt. Trouver son propre coin de tranquillité fécale deviendra une nouvelle corvée, une source supplémentaire de conflit. Verra-t-on éclater des rixes ? Des empêcheurs de déféquer en rond ? Y aura-t-il des compétitions ? A celui qui pose la plus grosse brique, la plus ferme, la plus musquée ?

Les forêts du futur, à défaut d’autoriser la chasse sportive, seront-elles le théâtre de joutes à merde ? L’olympique caqueuse !! Ces jeux scatophiles ne seront-ils pas interdits par la municipalité ? Tant d’étrons dans la nature c’est d’autant moins dans la toilette sèche commune, pourvoyeuse de carburant, la base de notre belle société ! Une nouvelle crise énergétique à juguler !

Une chose est sûre, cette nouvelle culture de l’étron qui s’annonce fera le bonheur des scarabées bousiers, des mouches coprophages, de nos amis canidés – grands taste-merdes devant l’éternel – et surtout des bactéries sans qui la vie sur terre serait bien triste. Ainsi l’homme, gaspillant son énergie dans des actions d’éclats comme les réserves naturelles ou le plasticage des bétonneuses, sauvera-t-il l’écosystème par un geste tout simple et qui ne coûte rien. Il suffira de pousser un peu.

– Guillaume Babey (17.05.23)

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