Obsession des Origines

C’est dans l’air, apparemment. Un signe des temps. Nombre d’entre nous semblent nourrir un intérêt tout particulier pour nos origines. Savoir d’où l’on vient. Que ce soit dans la recherche des archives familiales (dont beaucoup de registres sont aux mains des Mormons), l’étude de l’Histoire de nos régions natales, ou encore dans l’étude de notre ADN par des entreprises aux objectifs flous, la quête de nos racines a pris un tournant à la fois compulsif et populaire. On en parle dans les médias, entre amis, entre collègues, lors de repas de famille.

Pourquoi ? Si vous participez à cet engouement, vous serez peut-être surpris de mon interrogation. Suis-je à ce point un esprit contradicteur ? Outre les questionnements éthiques que posent les études génétiques conduites par des compagnies comme 23&me, je perçois dans cette mode des origines une forme de repli essentialiste.

Nous sommes en crise, c’est un fait depuis presque le début de notre siècle. Une telle situation, insidieusement devenue une norme, produit chez l’individu et les masses le sentiment que toutes nos bases s’écroulent. Les fondations de nos cultures semblent s’effriter sous nos yeux. Les activistes déconstruisent à l’envie le passé postcolonial des sociétés occidentales, au point de presque exiger de la population de vivre dans une mauvaise conscience constante. Les réactionnaires nous bassinent avec des affabulations, entre révisionnisme historique et exhalation des mythes.

Nous ne pouvons plus nous identifier à notre nationalité sans craindre de tomber dans le nationalisme, ou accepter notre éducation familiale car jugée trop limitante. Ainsi, nous cherchons des racines plus profondes, donc à nos yeux plus « nobles », moins sujettes au jugement acide de nos pairs.

Ainsi, des membres de ma famille se rêvent comme les descendants des Séquanes, tribu celte des régions jurassiennes, pour justifier une scission politique. D’autres se voient en parents éloignés de la famille d’un peintre célèbre, grâce à une petite recherche généalogique.

Les notions d’origine et d’appartenance sont arbitraires et leurs définitions dépendent du contexte géopolitique. En temps de paix et de prospérité, les origines sont souvent secondaires, le discours principal étant celui d’une union harmonieuse des communautés, main dans la main vers un avenir présenté comme radieux. Inversement, les périodes de conflits et de précarité sont le terreau fertile de tous les discours identitaires.

Tout n’est pas question de trend globalisé, cependant. Chacun, individuellement, éprouve le besoin de regarder en arrière, pour pouvoir aller de l’avant. Explorer les traumatismes du passé, les adapter en fiction même, pour pouvoir les exorciser enfin. Rationaliser les blessures du « roman familial » en creusant, à la manière d’un enquêteur ou d’un archéologue, pour avoir le fin mot de l’histoire. De notre histoire. Tout cela est compréhensible et dans un sens salutaire.

Alors pourquoi je m’interroge encore ? Pourquoi cela me parait-il si vain ? Parce que toute entreprise humaine est, dans l’absolu, un simple brassage d’air avant l’expiration finale ? Trop facile, trop rhétorique. La vérité est que, comme je l’exprimais dans un précédent texte, je n’arrive pas à tout-à-fait déterminer ce que je suis. Cela inclut mes origines, multiples. A la fois germain et latin, catholique et protestant, rebelle et conservateur, je ne trouve ma vérité que dans la tension constante entre mes composantes. Je sais qu’aucune recherche généalogique ou analyse génétique ne me donnera de socle solide, car je suis convaincu de l’artificialité de l’identité en soi.

Les seules origines qui, à mon sens, méritent exploration sont celles qui nous affectent le plus directement, à savoir notre éducation. Élever un enfant passe inévitablement par la production de traumatismes, le plus souvent involontairement, car aucun parent ne sait parfaitement quelles seront les conséquences de leurs actions sur leur progéniture. Tout comme un sculpteur va parfois blesser la matière sur laquelle il travaille, parce qu’elle lui est inconnue ou parce qu’elle lui résiste. Nos parents sont des modeleurs inexpérimentés, cherchant à tâtons des outils disparates, hérités en partie de leurs propres géniteurs, dans une sorte d’école de l’improvisation perpétuelle, de génération en génération.

Les coups de truelle et de burins reçus de nos parents sont autant de freins à notre épanouissement, tant que nous ne les confrontons pas. C’est là que la recherche des origines prend tout son sens. Cela peut mener à une longue conversation avec notre famille, ou une thérapie sur le long terme avec un professionnel. Cela peut passer par l’écriture d’un roman, la réalisation d’un film, ou la méditation. Mais il faut en faire quelque chose, car le but de la recherche des origines, c’est de pouvoir ensuite les laisser tranquilles. Pour faire pousser de nouvelles branches, il faut faire la paix avec ses racines.

  • Guillaume Babey

A France (14 juillet 2022)

En ce 14 juillet qui comme le 4 pour les USA semble peu propice à la célébration, je rends hommage aux Français, du continent, des Dom-Tom et d’ailleurs. Je salue ceux qui n’ont pas craqué, ceux qui ont craqué, les debouts, les assis, les couchés.

Je dis bonjour au cœur qui bat derrière la morgue de façade, aux yeux qui ne demandent qu’à s’émerveiller à nouveau, aux corps las et sclérosés qui cherchent encore à éclore. A toute la lie qu’on fustige ou qu’on occulte.

Je salue ceux qui, malgré deux ans et demi de pandémie, et 40 ans de néolibéralisme, n’ont pas tourné le dos à leurs frères et sœurs, n’ont pas abandonné leurs valeurs face à un pouvoir toujours plus destructeur et idiot.

Je parle aux Vauges, à la Sarthe, à Bordeaux, Montpellier et Villedieu-les-Poëlles. Je parle à Lyon, au Finistère, au Conquet, à Arles. A Paris, un peu, pour la forme. A Marseille, à l’Alsace et la Lorraine.

Je parle à toi, voisin ou voisine française. Dieu qu’on en peut plus de toi, et pourtant Dieu sait qu’on t’aime. Frère ennemi, conjointe distante, cousin de l’autre bord. On partage tellement plus qu’on ne pense et on se tire quand-même la bourre.

Je pense à mes amis, professeurs, étudiants, médecins. Des professions précaires chez eux alors qu’ici elles sont nanties. Je pense à mon arrière-grand-mère qui vient de là, de l’autre bord de la frontière. La Marie qui maria le Joseph, dans cette zone limitrophe de l’Ajoie.

Je pense à mon père, fils de Suisse-Allemand, qui pour résister, écoutait en cachette la radio parisienne, et qui à 20 ans s’installa des années dans la ville lumière, épousant la fille d’un acteur de la Nouvelle Vague. Avant de revenir au pays et connaître ma mère.

Je pense à ce môme, tout ébaubit devant l’Allosaure du Musée des Sciences Naturelles de Paris. A ce même môme trempant ses bottes aux abords de l’Île du Guesclin, sur les traces de Ferré. Je pense à la Camargue, pays brulé qui pourtant accueille des flamands roses.

Je ressens le sel de l’Atlantique sur les plages du Sud-Ouest, les méduses mortes par milliers sur les rivages d’Ouessant. Je revois ces jolies filles, ces beaux garçons, les piliers de bar, les femmes actives. Et les livres, les tableaux, du Louvre au Musée Fabre.

Sans toi, France, nos Suisses trop timorés n’auraient jamais célébré leurs propres héros, ceux que vous avez formés. Le Corbusier, Cendrars, Chevrolet, Bouvier. Nul n’est prophète en son pays, chacun peut être prêcheur dans l’Hexagone.

Enfin, je dis merci. Aux habitants et habitantes de France, à ceux qui gueulent et ceux qui se taisent. N’oubliez pas la vraie force de votre pays, celle qu’on ne compte pas avec des chiffres, celle qu’on ne voit pas à la télévision devant le cassoulet de midi.

Douce France, cher pays de mon enfance. Il est temps de grandir, pour nous deux, et nous battre pour qu’on puisse, un beau jour, chanter à nouveau, des deux côtés de la frontière.

  • Guillaume Babey