Ne parlez pas d’enfance

Ne parlez pas d’enfance.

Trop courte ou trop longue elle ne dure jamais ce qu’il faut.
Si elle vous fut heureuse on vous la fera payer si elle fut triste vous la ferez payer aux autres.

C’est une chimère qui blesse de son absence chaque fois qu’elle est mentionnée.

Une illusion dans l’œil du nostalgique lorsqu’il voit à la fenêtre l’enfance en cours, celle des écoliers jouant dans la cour.

De loin on ne voit ni les peines ni les colères, les luttes ou les triomphes. On ne voit que ce qu’on croit avoir perdu, l’innocence d’un temps sans aiguilles.

Mais on sait bien que l’enfance n’est pas ça. C’est un combat constant face au monde trop grand, trop lourd, face aux camarades trop bêtes, trop laids ou félons.

C’est une survie contre les adultes aussi. Même vos parents, protecteurs et bourreaux, Dieux vivants, vrais démons.

Ça peut faire mal un adulte, de bien des façons, celle qu’on lit dans les journaux et d’autres dont tout le monde se fout.

Un encouragement peut sauver mais aussi corrompre, faire croire un avenir glorieux à celui qui pointera au chômage.
Une pique peut couper les ailes. Un papillon épinglé ne vole pas bien haut.

L’enfance c’est la morsure et les griffes, les tristesses immenses qui durent un jour ou une année entière. Des amitiés prêtes à lever des montagnes et qui se brisent comme la faïence de cette tante qu’on n’aimait guère.

On se souvient de ce film vu trop tôt, en cachette et dans une honte perverse qui nous enflammait tout le corps. Pour d’autres ce sont les bruits de bottes et des quêtes incertaines d’asiles improbables à travers une jungle barbelée. L’enfance n’est pas égale ni démocratique. Mais ça reste l’enfance. Même sous les bombes.

Et c’est drôle comme part l’enfance, souvent sans prévenir. On se réveille un matin et l’on se sent vieux. On ferme les yeux et on pense aux tartines, aux boules de neiges, aux pissenlits. On revoit le sourire de grand-mère, on sent la brûlure des genoux éraflés, le goût des tartes à la crème et l’odeur du gazon coupé.

Les yeux rouverts, l’inventaire terminé, on pleure une chose jamais possédée.

L’enfance c’est cela. Un temps qui n’existe que quand il est passé.

  • Guillaume Babey