La veste verte de Lupin III


A l’heure où j’écris ces lignes, la sixième série de Lupin III a été annoncée avec une sortie prévue pour octobre, et le retour de la veste verte. Si Lupin III est plus souvent associé à la veste rouge, présente dans la majorité des productions tous supports confondus, il n’en demeure pas moins que la verte reste sa principale rivale dans l’imaginaire collectif, étant la deuxième couleur la plus présente dans la franchise, et associée à des étapes-clé de l’histoire de Lupin.

Si le manga originel de Monkey Punch ne permettait pas la plupart du temps de connaître la couleur des vêtements, les quelques pages et couvertures coloriées montrent des variantes, passant de la veste blanche à la veste jaune et effectivement la rouge. Cette dernière couleur était apparemment la plus facile à appliquer en imprimerie, c’est pourquoi les aplats rouges sont si fréquents dans les mangas de cette époque. L’association de Lupin avec la couleur rouge serait donc au départ une question de praticité. La première adaptation animée de Lupin III fut un pilote de 1969, destinée au départ à une sortie cinéma. Une version télé fut aussi produite pour montrer le potentiel de la franchise. Dans ce court-métrage, Lupin porte bien une veste rouge.

Les choses sérieuses ne commenceront que deux ans plus tard, avec la première série d’animation destinée à un public adulte, réalisée dans sa première partie par Masaaki Osumi, avec comme animateur phare Yasuo Otsuka. C’est ce dernier qui aurait décidé de changer la couleur de veste de Lupin en vert, peut-être parce que le rouge bavait en animation avec la technologie de l’époque, ou parce que le vert était plus discret pour un voleur, ou encore parce que Yasuo portait lui-même une veste verte à l’époque aux dires de certains. Suite à des taux d’audience insatisfaisants, la chaîne demanda à Osumi d’adoucir le ton de la série, ce qu’il refusa, préférant démissionner. Il sera ainsi remplacé par le duo Miyazaki/Takahata qui édulcoreront les personnages pour les rendre plus appréciables pour un jeune public. La première série se terminera au 23ième épisode.

la franchise plongea dans une relative torpeur jusq’en 1974 avec le film live. Les rediffusions de la série vont ressusciter l’intérêt du public pour le voleur et sa bande, et la série 2, la plus connue et iconique, sera lancée en 1977. Si la veste rouge prend le pas sur la verte dans cette période, elle ne tardera pas à revenir avec le film Le Château de Cagliostro en 1979, réalisé justement par Hayao Miyazaki. La veste verte reviendra ensuite périodiquement avec La Conspiration du clan Fuma (1987), Le retour de Pycal (2002), Green vs Red (2008), Mine Fujiko to Iu Onna (2011-12), le court-métrage Lupin Family Line-Up (2012), deux épisodes de la partie V (2018), et enfin la Partie VI (2021). Un descendant de Lupin porte la veste verte dans une scène se déroulant dans le futur lointain à la fin du TV Special Elusiveness of the Fog (2007), et la même veste fait une courte apparition dans le premier crossover (2009) avec Détective Conan le temps d’un flashback. Une version de Lupin II, ressemblant davantage à Lupin VIII, porte la veste verte dans un TV special plus ancien, le Dictionnaire de Napoléon (1991).

La veste verte est presque toujours associée à une chemise noire, une cravate jaune clair, un pantalon gris ou bleu foncé voire noir, une ceinture brune quand elle est présente, et des chaussures de même couleur. Les tons peuvent être plus ou moins saturés dépendant de l’esthétique recherchée. Dans l’épisode de la partie V, Lupin troque sa cravate jaune pour une autre rayée blanche et bleue, dans le but de se déguiser. La partie VI modifie légèrement la formule en donnant à Lupin une chemise bordeaux.

La première série TV ayant connu un changement radical de direction à mi-chemin, la veste verte est investie de la double nature du personnage, à la fois hard-boiled et loufoque. L’apport de Miyazaki à la série 1 et son film Cagliostro vont ajouter la dimension héroïque au personnage, la veste verte devenant l’apanage du Lupin « chevaleresque ». Cette dimension est en partie exploitée dans l’OAV Green vs Red où le protagoniste Yasuo, portant une veste verte, veut devenir le vrai Lupin, et n’hésite pas à se montrer héroïque plutôt que véritablement criminel, allant jusqu’au sacrifice de sa vie normale pour suivre son idéal, même si ce dernier s’avère finalement tragiquement égoïste. Cet OAV explore plus généralement ce que représente Lupin, avec de nombreux doubles incarnant plus ou moins une facette du personnage. Yasuo est cependant le seul à porter une veste verte et à pouvoir se mesurer sérieusement au vrai Lupin portant du rouge, renforçant dans les consciences la dualité entre les deux couleurs.

Les autres apparitions de la veste verte auront pour but d’évoquer les productions précédentes, par nostalgie ou par volonté de s’associer à l’univers des premiers. C’est ainsi que Fuma, à la fois film et OAV, et produit après la période peu appréciée de la veste rose, revient à un style très Cagliostro, autant dans la forme que le fond, veste verte comprise. Le but est clairement d’évoquer la version Miyazaki du personnage. Pour Mine Fujiko To Iu Onna, c’est le même processus mais pour une inspiration inverse. La série spin-off fonctionnant en partie comme une préquelle à la série 1, le choix de couleur des personnages s’y apparente tout en se rapprochant du manga dans le chara design, formant une sorte de chaînon manquant entre le matériel de base et la première adaptation. Le ton général de la série Mine Fujiko s’apparente davantage à la vision de Masaaki Osumi. Jusqu’à très récemment, la veste verte était associée à une époque passée de Lupin, en contraste avec un présent incarné le plus souvent par la veste rouge. Même la récente préquelle Lupin Zero utilise dans son dernier épisode la veste verte pour symboliser le rite de passage d’un Lupin encore adolescent.

Si cette connexion chronologique permet de confirmer une sorte de succession semi-canonique, elle assujettit la veste verte à une ère révolue. Ce n’est pas pour rien que pendant quelques années, les apparitions récentes de la veste verte étaient cantonnées aux OAV, fonctionnant en marge des productions principales comme les TV specials.

L’OAV Le Retour De Pycal, considéré par beaucoup de fans comme l’une des pires productions de la franchise, fait aussi emploi de la veste verte dans un contexte nostalgique. Si l’action semble se passer dans notre présent, l’esthétique générale est entièrement dévolue à imiter la partie 1, d’autant plus que l’intrigue repose sur le retour d’un antagoniste apparu dans la première série.

Cette mécanique de se relier à une version précédente de Lupin fonctionne aussi pour les épisodes hors-intrigue de la part V, dont l’un, Lupin brûle-il toujours ? est réalisé par Monkey Punch et fait directement référence au premier épisode de la première série. L’intrigue de l’épisode repose sur le retour dans le temps de Lupin à divers moments-clé de la franchise, dont la série 1 où il prend les couleurs des périodes qu’il traverse. La présence des vestes vertes, rouges, et bleu fonctionne donc comme des marqueurs temporels. L’autre épisode de la partie V prend le parti de retranscrire un certain ton propre à la période veste verte plutôt qu’évoquer des épisodes précis. Lupin y joue un rôle positif, dans un ton mêlant la partie 1 et Cagliostro sans complètement les imiter.

La partie VI récemment annoncée révèle le retour de la veste verte dans une série complète, ce qui ne s’était pas produit depuis Mine Fujiko. De plus, c’est la première fois depuis Green vs Red que Lupin porte la veste verte dans son présent, et non pas dans une période passée. Plusieurs raisons justifient ce choix. Elle célèbre le 50ième anniversaire de l’animation en faisant un rappel direct à la première série comme si la boucle était bouclée, elle est pertinente avec le décor londonien, car l’Angleterre donne au vert une symbolique très riche et ambivalente, et la veste verte encapsule justement la double nature de Lupin, héroïque et antagoniste, cimentée par le ton bipolaire de la partie 1. Le poster et le teaser mettent justement l’accent sur l’ambiguïté du personnage. Hélas, la série elle-même n’osera pas explorer plus sérieusement cette double-nature malgré quelques bonnes idées et certains épisodes ambitieux.

Incidemment, la partie 1, Cagliostro, et Fuma vont créer une association possiblement involontaire entre Lupin et la Nature. Les trois productions partagent la présence significative de lieux boisés ou de paysages naturels, où la veste verte de Lupin se confond avec l’herbe, les buissons et les feuilles, un peu comme s’il était davantage dans son élément en pleine nature qu’en milieu urbain, ce qui peut paraître un peu contradictoire avec la nature hédoniste du personnage. Il est vrai néanmoins que Lupin est un homme qui suit le plus souvent ses envies et ses désirs, et s’apparente ainsi à un esprit élémentaire et animal. Green vs Red continuera cette association avec son générique d’entrée, où la veste verte se superpose à des images de paysages forestiers tandis que la veste rouge débarque sur un fond de flammes vives.

Le succès de la veste verte ne se cantonne pas qu’à la version animée. Lupin III S (1997) pas Shusai, premier manga sans Monkey Punch, comporte deux couvertures dont une montre Lupin portant une veste verte. Lupin III H (2009-2015) par Naoya Hayakawa, qui adapte plusieurs scripts abandonnés de l’animation, comporte deux chapitres liés à la partie 1, et Lupin III T (2012-2015), dessiné par Togekinoko, montre également une veste verte sur ses couvertures. Le film live-action de 2014 donne également une veste verte à Lupin dans sa dernière scène. Même Monkey Punch dessinera quelques fois un Lupin portant une veste verte, démontrant la flexibilité du créateur du matériau d’origine dans l’approche de son œuvre.

Hors de la franchise, le Lupin à la veste verte fera des apparitions dans divers anime et cartoons, comme récemment la dernière saison de DuckTales par Disney, montrant bien que cette couleur reste associée au personnage au-delà des frontières nippones.

Si la veste rouge reste probablement la couleur la plus iconique, permettant au personnage de Lupin III d’être immédiatement reconnaissable au premier coup d’œil avec une couleur vive, la veste verte permet une implication émotionnelle plus nuancée, permettant une approche moins frontale du personnage. Le vert procure ainsi au personnage une dimension mystérieuse, accrochant le spectateur sur la longueur, et témoigne de la longue histoire de la franchise. La récurrence de cette couleur, jusqu’à la série VI de 2021 et Lupin Zero en 2022, est preuve de sa pertinence et de sa force évocatrice.

  • Guillaume Babey