Une Peau qui Crie

Originellement publié sur le site de Spectrum, le journal des étudiants de l’Université de Fribourg, dans le cadre du Festival International du Film de Fribourg en 2018. Le journal ayant récemment effacé mon nom de tous mes articles pour des raisons inconnues, je décide de reprendre contrôle de mon texte et de son iconographie avec quelques ajouts.


Le racisme est un sujet difficile à aborder au cinéma. Comment faire d’un repoussoir un objet d’attrait ? Soleil Ô, réalisé par Med Hondo en 1967, choisit une approche frontale, sans concession aucune. Car toute concession serait une trahison.

Le film commence par un prologue composé de tableaux allégoriques retraçant les débuts du colonialisme et de la traite des noirs. Si ces scènes portent à rire par leur style volontairement grotesque, ce n’est que pour mieux accentuer les sévices qui seront infligées aux peuples d’Afrique. Les Noirs doivent abandonner leurs langues, leurs coutumes, leurs noms d’origine.

On les dépouille de tout afin de mieux leur imposer les bases de la culture occidentale, représentées par la religion chrétienne, les états-majors et l’éducation. Le film enchaîne sur une structure plus classique et réaliste en suivant le parcours d’un Africain « blanchi », fraichement arrivé à Paris, persuadé d’être accueilli comme le bon Français qu’on lui a appris à être.

Son désenchantement sera total. Rejeté, stigmatisé, déshumanisé, notre héros qui pourrait bien être le double du réalisateur révèle pas à pas toute notre hypocrisie et notre haine crasse. Du petit bourgeois traditionaliste au politicien technocrate en passant par des demoiselles en quête de fantasmes exotiques, les blancs ne sont pas épargnés.

Et pourquoi devraient-ils l’être ? Ce que Soleil Ô démontre, c’est à quel point le racisme est systémique, conséquence directe d’un modèle économique permettant de traiter des êtres humains comme une marchandise pour mieux les rejeter lorsque ils cherchent du travail chez leurs envahisseurs. Notre immigré et ses compatriotes habitent dans des taudis, ne trouvent que des métiers ingrats et finissent par se haïr eux-mêmes, faute de pouvoir exprimer leur identité.

Hondo est libre autant dans son discours que dans sa mise-en-scène, alliant style documentaire et expérimentations. Certaines scènes sont insoutenables et c’est le but. Le réalisateur ne veut pas nous attendrir ou nous apitoyer. Il dénonce, il accuse, et ça fait mal. Cette violence n’est après tout que le miroir tendu à une France complice et irresponsable. Bien qu’accueilli avec les honneurs lors de sa projection au festival de Cannes de 1970, le film sera bientôt interdit dans plusieurs pays. Après tout, Hondo avait commis le plus grand pêché que puisse faire un cinéaste ; dire la vérité.

Med Hondo obtiendra davantage de reconnaissance de la part de l’industrie et des spectateurs derrière le micro, devenant la voix française de plusieurs acteurs afro-américains tels que Morgan Freeman et surtout Eddie Murphy. Hondo nous a quitté le 2 mars 2019, sa carrière de réalisateur restant relativement peu connue du grand public. Il faudra attendre 2023 pour que soit édité un coffret Blu-Ray comprenant trois de ses films. Parmi eux, Soleil Ô, signe tardif mais appréciable de réhabilitation.

Quelle joie ce serait de pouvoir dire que le film n’est plus d’actualité. Hélas il n’est pas besoin d’ouvrir le journal ou de regarder votre fil d’actualité Facebook pour s’en convaincre.
Soleil Ô nous le montre bien, le racisme est partout, dans la rue comme au sénat, et c’est avec un « À Suivre » des plus implacables que le film se conclut. Que faire alors si ce n’est crier ?

  • Guillaume Babey

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