« Pour adultes » : Les origines d’un malentendu

Ah, notre époque moderne. Ses craintes, ses absurdités, et surtout ses débats ubuesques où tout le monde a tort car personne ne sait de quoi l’on parle. Parmi les nombreuses discussions qui tournent en rond sur internet au point de produire leur propre centre de gravité, on trouve la question des divertissement dits « pour adultes ». Comprenez par là des productions, le plus souvent audio-visuelles, destinées à un public majeur.

Présentée ainsi, l’expression « pour adulte » ne souffre d’aucune ambiguïté. Elle ne fait que désigner une démographie déterminée par l’âge de la citoyenneté (18 ans dans la plupart des pays européens) et la fin du développement physiologique des individus, soit au début de la vingtaine. Or donc, comment les internautes ont-ils compliqué inutilement ce terme ?

Le problème est avant une question de sensibilités culturelles et d’instrumentalisation médiatique. On a pu lire sur Tumblr ou Twitter des affirmations du type « ce n’est pas parce que telle œuvre contient du sexe et/ou de la violence que c’est plus adulte qu’une qui n’en contient pas » ou encore que « telle œuvre est puérile car elle flatte nos plus bas instincts au lieu de parler de vraies problématiques » et enfin que « telle œuvre destinée aux enfants est beaucoup plus adulte que bien des œuvres destinées aux grands ».

On perçoit tout de suite une confusion sémantique liée au terme « adulte », probablement influencée par la langue anglaise, toute puissante en ligne. Précisons que le médium le plus touché par ces controverses est l’animation pour adulte, qui a connu un récent regain d’intérêt ces dix dernières années.

Ces personnes, quelle que soit la pertinence de leur opinion, considèrent erronément qu’ « adulte » et « mature » sont synonymes. Ils opèrent un glissement sémantique de l’acception purement technique (la majorité légale) à l’interprétation morale (être adulte c’est faire preuve de maturité). De fait, on a pu voir refleurir des réactions pudibondes et bien-pensantes à l’annonce de telle série animée destinée aux adultes et comportant des éléments explicites, ou usant d’un humour potache, tandis que sont portées aux nues des séries « jeunesse » pour la finesse de leur écriture permettant une double-lecture.

Ces opinions moralistes sont en général émises par des personnes jeunes, nées dans les années 1990-2000 et ayant justement grandi avec des œuvres permettant à plusieurs tranches d’âge d’y trouver leur compte. On peut aussi supposer que ces personnes très volubiles sur la toile sont pour beaucoup très sensibles, peut-être même mal ajustées au monde extérieur, et que ni le sexe ni la violence ne leur paraissent attrayants, ce qui est leur droit. Ce qui est moins permis, c’est de faire de ses limites personnelles un étendard.

Les réactions négatives face aux séries « adultes » s’accompagnent le plus souvent d’accusations de sexisme et autres intolérances diverses. On peut aussi y associer la défense des œuvres pour enfants, qualifiées d’infantiles par une minorité vocale jouant le plus souvent la carte du virilisme comme signe de « maturité ». Comme souvent sur Internet, plusieurs thèmes et sujets sont mêlés en une rhétorique aussi difforme que malavisée.

Il n’y a dans l’absolu aucun mal réel à produire, regarder et apprécier des œuvres pouvant choquer certains. L’important est de ne pas exposer les personnes sensibles à un tel contenu sans leur consentement. C’est bien pour cela qu’elles sont vendues à un public adulte, c’est une simple question de jurisprudence. La fin des années 1980 a vu le développement de catégories d’âge pour l’audio-visuel et la littérature qui ne laissent plus aucune doute. Si vous vous exposez vous-même à une œuvre pouvant potentiellement vous choquer, vous êtes seul responsable. Cependant, nos censeurs sensibles ne sont pas entièrement injustifiés dans leur lassitude.

Le premier constat est la pauvreté générale du monde du divertissement et de la fiction de masse. Malgré la multiplication des supports et des projets mis en chantier pour remplir les catalogues de services VOD, la promesse de diversité et de représentation, la plupart de ces films, séries et autres formats narratifs répondent la plupart du temps à des schémas éculés, formatés par des financiers et des groupes de communication afin de générer une adhésion immédiate du public. Ce n’est pas pour rien qu’Hollywood s’est tournée vers les blockbusters adaptant des franchises à succès des décennies passées, supprimant par la même occasion toute prise de risque, et nivelant l’originalité par le bas.

Des poches de résistance existent, y compris au sein des industries les plus sclérosées, mais leur combat est difficile et le public, habitué à se gaver d’une tambouille prémâchée (oui Disney, c’est toi que je vise), réagit parfois avec violence face à ces quelques productions atypiques.

L’autre problème est une question de pure communication. Nous vivons plus que jamais dans l’ère de la publicité, du marketing, de l’information comme stimulant. « Ads are the new Sex » pourrait-on dire en parodiant Cronenberg. A la fin des années 2010, les œuvres contre-culturelles des années 1970-80 trouvèrent un nouvel essor auprès des aficionados. Le célèbre périodique français Métal Hurlant et ses dérivés semblaient avoir conquis un nouveau public, en réaction à ce que certains percevaient comme une période ultra-consensuelle. Cette fameuse « guerre culturelle » que nos politiciens les plus démagogues aiment à invoquer pour défendre leurs positions réactionnaires.

Suivant cet engouement, plusieurs productions adultes vendues comme les successeurs spirituels de Métal Hurlant furent annoncées. Netflix ouvrit la brèche avec Love, Death + Robots, puis Adult Swim avec Primal qui marquait aussi le grand retour de Genndy Tartakovsky, papa des dessins-animés phare de l’écurie Cartoon Network, Amazon Prime accueille l’adaptation animée du comic Invincible, et des sitcoms animées tels Rick & Morty modernisent la formule inaugurée trente ans avant par les Simpson ou Family Guy. Ces séries ont en commun d’avoir été présentées comme le renouveau de l’animation pour adultes. Certaines tinrent leurs promesses, d’autres parurent être des arnaques.

On peut comprendre alors que certains internautes prennent la mouche, car s’ils font la confusion entre « adulte » et « mature », c’est parce que la communication est coupable des mêmes raccourcis. Ainsi, la série animée tirée de la licence Cyberpunk s’appuie sur les mêmes arguments visuels et superficiels de la violence grandiloquente et de l’imagerie sexuelle pour se vendre aux futurs abonnés de Netflix, alors que son histoire est bien plus riche thématiquement.

Un monde encombré de signaux et de stimuli, refusant de laisser à notre esprit le temps de souffler, assailli que nous sommes par l’information visuelle et sonore, n’est pas un environnement propice à la réflexion ou aux discussions respectueuses. Nous sommes ainsi réduits à dégurgiter ce trop-plein qui déforme notre vision du monde, des êtres, de l’art et de la culture. Ce trop-plein peut créer le rejet, surtout si l’on est assailli d’éléments qui heurtent nos sensibilités. Ce n’est jamais une excuse pour devenir censeur mais c’est hélas un pur produit de notre temps.

Afin de résoudre cela, il nous faudra bien un jour nous pencher sur l’origine de nos turpitudes et discuter de notre relation à internet, entre adultes, matures et pondérés.