B-movie Land : The Beast of Hollow Mountain

On n’insistera jamais assez sur le fait que ce qui compte pour faire un bon film réside moins dans son concept de départ que dans son exécution. A preuve, le film dont nous parlons ici est basé sur une idée du pionnier des effets spéciaux en Stop-Motion, Willis O’Brien. La fin de carrière du magicien de l’image par image ne sera pas des plus glorieuses (Black Scorpion) mais il n’aurait probablement pas apprécié le traitement que fit American international de son projet assez original pour l’époque de mêler Western et dinosaures.

O’Brien était censé se charger des effets spéciaux de cette co-production américano-mexicaine mais fut remplacé pour des raisons inconnues. Mon petit doigt me dit que le producteur et co-directeur Edward Nassour a voulu faire des économies. Le film ayant été filmé deux fois, en anglais et en espagnol aux studios Churubusco à Mexico City, on peut comprendre les tentatives de réduction de budget.

Or donc, trêve de préambule, l’histoire raconte avec lenteur les déboires d’éleveurs de vaches au Mexique dont le bétail puis les employés se font dévorer par un vorace dinosaure, survivant des âges farouches. Tellement farouches à vrai dire que le monstre en question n’apparaitra pas avant les 20 dernières minutes du métrage.

Mais de quoi le reste du film peut-il bien parler dans ce cas ? Eh bien d’un triangle amoureux entre un bellâtre Américain (Guy Madison, plus yankee comme blase, tu meures), une douce señorita (Patricia Medina) et son fiancé (Eduardo Noriega, non pas celui-là) moustachu et jaloux bien sûr ! Ajoutons à cela un père alcoolique (Pascual Garcia Peña) et son fils panchito (Mario Navarro), un duo qui se veut tantôt comique tantôt tragique et qui ne parvient souvent qu’à être pathétique tant l’humour est mal placé au vu des problèmes de boisson du père, et le tragique sabordé par une interprétation caricaturale.

Reconnaissons toutefois que le petit Panchito est assez attachant, surtout en comparaison du héros paternaliste et doucement condescendant, lançant à tous va des « adios amigo » pour faire genre. Et ce n’est pas son amitié sommes toutes bien superficielle avec son collègue Felipe (Carlos Rivas) qui changera quelque chose. Après quelques bombages de torses et insultes de coq effarouché, le jaloux Don Enrique provoquera l’Américain en duel au poing. Évidemment perdant, notre ombrageux moustachu déclenchera alors une émeute parmi les (stock-shots de) vaches qui envahiront la place publique durant le grand défilé afin de discréditer le gringo auprès de la populace. Montré en accéléré pour en accentuer la violence, cette cavalcade bovine en devient cartoonesque.

Entretemps, l’aviné Pancho se perdra dans les marécages, repère de la furtive « bête » dont il deviendra la victime, si l’on en croit son cri de terreur devant l’indicible. Sa fin qu’on espère violente nous est épargnée par un brusque hors-champ pudique. Toutes ces péripéties s’étendent et s’étirent, comme si le soleil de l’Amérique centrale avait ramolli la bande. Dommage car le Cinemascope sert plutôt bien les grandes étendues brûlées par le soleil mexicain et le Technicolor (pardon, De Luxe) apporte une touche de naïveté presque touchante à l’ensemble.

Mais pour le moment, rien de très jouissif me direz-vous. Et vous auriez raison. En matière de nanar, le film peut décevoir dans son ensemble, avec ses intrigues de soap opera et ses personnages moins profonds qu’une flaque d’eau sur le macadam. Heureusement pour nous, le troisième acte nous sauve de l’inertie. Reprenons les faits. La belle Sarita, dont le cœur en pince pour l’Américain de chromo, fuit la cérémonie de mariage sous le regard impuissant de sa dame de compagnie, dont les couettes ne conviennent pas à son âge. N’écoutant que son cœur dont on ignore décidément les raisons, Sarita cherche à rejoindre le blond objet de ses désirs.

Pendant ce temps, le petit Panchito tentant désespérément de trouver son père qu’il refuse de croire mort, s’enfonce plus avant dans les marécages où l’attend, enfin, la bête ! Et quelle bête ! Un dinosaure théropode (les paléontologues ne savent s’il s’agit d’un Tyrannosaurus pataud ou d’un Allosaurus revêche) à crocs de chiens et langue de Gene Simmons. Sérieusement l’effet le plus spécial du film doit être cette langue rose en pâte à modeler que le dinosaure darde à chaque mécontentement. La stop-motion, décidément plus « stop » que « motion » est très limitée et saccadée.

L’animal se dandine avec la grâce d’un habitué de Wallmart et son intégration aux prises de vues réelles vont vous faire décrocher le premier rire franc du film. Nous aurons tout de même droit à une attaque du prédateur sur une pauvre vache, elle aussi en pâte à modeler, offrant au spectateur un peu de tripaille dans un film très sage sur ce plan. La menace que représente La Bête est en fait si mal amenée que son arrivée soudaine si proche du climax parait d’autant plus incongrue.

Après une scène de siège où Sarita et Panchito, réfugiés dans une ferme, se défendent face aux assauts maladroits du dinosaure à langue agile, Le héros et le fiancé moustachu arrivent prêter main molle (je n’ose dire prêter main forte).

Ils tenteront de défendre leur peau tout en faisant une courte trêve qui se conclura par la mort du fiancé, étranglé à main nue (et écailleuse) par le saurien, ce qui est relativement original pour être souligné. Sans doute que de voir un humain dévoré dans un film en couleur serait mal passé auprès du public de l’époque, ou alors les animateurs du dinosaure n’en étaient pas capables.

Le cowboy parviendra à piéger le monstre en se balançant sur une corde au nez (mais pas à la barbe puisque l’animal n’est pas velu) du dinosaure qui s’enfoncera dans les marécages assez profond pour l’engloutir tout entier. La pauvre bête, se faire berner par une ruse d’école primaire.

Notre héros victorieux, sans obstacle entre lui et la belle, la serre dans ses bras tout en prenant sous son aile le petit Panchito. Le film se termine ainsi sur cet exemple de famille recomposée, comme il y en a presque toujours dans les films de dinosaures (visionnez l’ensemble de la franchise Jurassic Park, c’est une constante).

Le film est donc surtout un nanar par l’effet du temps et l’auto-sabordage de ses ambitions. Notons aussi une musique assez générique, tentant d’allier thèmes horrifiques à renforts de bois avec des instruments régionaux pour faire « couleur locale ». A ce compte-là, le film s’attirerait probablement les foudres de quelques activistes mexicains. The Beast of Hollow Mountain n’est pas horrible pour l’époque mais ses personnages en carton, ses enjeux de feuilleton du dimanche, sa morale classique et sa promesse d’un monstre préhistorique à peine tenue le rendent immanquablement risible. De plus, le choix de la couleur et d’un format « prestigieux » ne font que mieux ressortir les éléments les plus pauvres. D’autres séries B des années 50 ont eu la présence d’esprit de cacher leur misère derrière un noir et blanc parfois inspiré et un cadrage serré.

Ce film aura toutefois eu une utilité, celui de préparer la voie pour un autre film, lui aussi basé sur cette même idée de Willis O’Brien, avec son illustre disciple Ray Harryhausen aux commandes des effets spéciaux. Je parle bien sûr de la Vallée de Gwangi de 1966, classique de série B dinosauresque mêlant avec habileté les genres, là où The Beast of Hollow Mountain semble avoir peiné à équilibrer les éléments du scénario.

Mais c’est là la force du nanar, celui de figurer le contre-exemple, et qu’un bon film est avant tout une histoire d’équilibre.

  • Guillaume Babey

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