Ne parlez pas d’enfance

Ne parlez pas d’enfance.

Trop courte ou trop longue elle ne dure jamais ce qu’il faut.
Si elle vous fut heureuse on vous la fera payer si elle fut triste vous la ferez payer aux autres.

C’est une chimère qui blesse de son absence chaque fois qu’elle est mentionnée.

Une illusion dans l’œil du nostalgique lorsqu’il voit à la fenêtre l’enfance en cours, celle des écoliers jouant dans la cour.

De loin on ne voit ni les peines ni les colères, les luttes ou les triomphes. On ne voit que ce qu’on croit avoir perdu, l’innocence d’un temps sans aiguilles.

Mais on sait bien que l’enfance n’est pas ça. C’est un combat constant face au monde trop grand, trop lourd, face aux camarades trop bêtes, trop laids ou félons.

C’est une survie contre les adultes aussi. Même vos parents, protecteurs et bourreaux, Dieux vivants, vrais démons.

Ça peut faire mal un adulte, de bien des façons, celle qu’on lit dans les journaux et d’autres dont tout le monde se fout.

Un encouragement peut sauver mais aussi corrompre, faire croire un avenir glorieux à celui qui pointera au chômage.
Une pique peut couper les ailes. Un papillon épinglé ne vole pas bien haut.

L’enfance c’est la morsure et les griffes, les tristesses immenses qui durent un jour ou une année entière. Des amitiés prêtes à lever des montagnes et qui se brisent comme la faïence de cette tante qu’on n’aimait guère.

On se souvient de ce film vu trop tôt, en cachette et dans une honte perverse qui nous enflammait tout le corps. Pour d’autres ce sont les bruits de bottes et des quêtes incertaines d’asiles improbables à travers une jungle barbelée. L’enfance n’est pas égale ni démocratique. Mais ça reste l’enfance. Même sous les bombes.

Et c’est drôle comme part l’enfance, souvent sans prévenir. On se réveille un matin et l’on se sent vieux. On ferme les yeux et on pense aux tartines, aux boules de neiges, aux pissenlits. On revoit le sourire de grand-mère, on sent la brûlure des genoux éraflés, le goût des tartes à la crème et l’odeur du gazon coupé.

Les yeux rouverts, l’inventaire terminé, on pleure une chose jamais possédée.

L’enfance c’est cela. Un temps qui n’existe que quand il est passé.

  • Guillaume Babey

Pour en finir avec le Youtube Critique

AVERTISSEMENT : Ce billet d’humeur ne se veut pas une attaque sur les personnalités publiques citées en tant que personnes mais bien en tant qu’icônes et transmetteurs d’idée.
Mes remontrances envers le médium qu’ils ont choisi n’est pas une volonté de décrédibiliser leur négoce. C’est au contraire parce que je suis conscient des qualités du dit médium qu’il m’inspire certaines craintes et méfiances.

L’avènement de ce qu’on a fini par appeler le « Youtube Critique », comprenant l’ensemble des vidéastes faisant profession de critiques cinéma, remonte au milieu des années 2010, dans le sillage de Doug Walker alias le Nostalgia Critic, dont la carrière allait connaître une trop courte pause, avant de reprendre, plus agaçant que jamais.

En France, des personnalités comme Karim Debbache, Thimothée Fontaine alias Durendal, et François Theurel alias Le Fossoyeur de Films, formeront un socle plus ou moins solide qui soutiendra sa propre vague d’émules et imitateurs avec des niveaux de succès divers. Le Youtube Critique est avec son jumeau le Youtube Jeux-Vidéos l’un de ceux qui inspire le plus la collaboration entre créateurs. Ces « crossovers », car ces jeunes gens ont récupéré à leur bénéfice tous les poncifs narratifs des œuvres qu’ils aiment, ont donné l’impression que Youtube était une grande famille, pour ne pas dire une Mafia comme on a jadis désigné le groupe affilié à Nesblog.

Or une « famille » liée par des ambitions professionnelles ne peut que devenir dysfonctionnelle et entre Channel Awesome atomisée suite aux controverses autour de Doug Walker, le collectif français Vox Makers détruit pour des raisons similaires, ou encore le groupe Trash, le Youtube Critique a démontré son incapacité à fonctionner en tant que groupe, la plupart du temps suite à des conflits d’intérêts ou des comportements déplacés encouragés par la célébrité. D’autres sous-sections du Youtube français montreront les mêmes travers, y compris dans le secteur si innocent en apparence de la vulgarisation scientifique.

Nous vivons à présent une sorte de timide retour à une structure individuelle et morcelée. La Pandémie ne fut pas tendre avec les vidéastes dont le train de vie, à de rares exceptions, est peu enviable. Certains se sont assagis et modifient leurs formats comme François Theurel qui a su enterrer son personnage de Fossoyeur avant que ses tentatives de fiction ne le mènent trop loin. Il a surtout su s’entourer et briser le cadre du critique solitaire.

D’autres comme Durendal ou Michael J, ancien vox maker, persistent et signent, dans une sorte de guerre idéologique où le cinéma devient prétexte à un discours politique partisan, le vidéaste ne vivant plus qu’à travers son propre médium, répondant aux trolls au lieu de les ignorer, se constituant un arsenal exponentiel d’arguments défensifs où une partie substantielle de leurs vidéos consiste à répondre aux critiques qu’on leur fait.

Les plus poltrons d’entre eux laissent la besogne à une poignée de suiveurs idolâtres hantant la section commentaire à l’affut de tout avis contraire à celui de leur critique-idole. On appelle ça la « Stan culture » de nos jours mais le terme fanatisme me parait plus approprié.

L’approche victimaire de ces vidéastes montre les effets néfastes de la culture internet, où l’anonymat et l’immédiateté ont dépourvu les utilisateurs d’une partie de leur capacité de réflexion et d’empathie. Nous en sommes à un point où des vindicatifs comme Marty de « La Séance de Marty », vont rechercher toute mention de leur nom sur les réseaux pour voir qui dit du mal de leur travail (véridique), et y répondre dans des vidéos sensées parler de cinéma.

Vous l’aurez compris, je déplore l’état du Youtube Critique et j’ai perdu beaucoup d’estime pour les créateurs qui le constituent.

Je ne serais pas aussi remonté si ces couillons n’étaient pas devenus la référence principale des apprentis cinéphiles ou de tout jeunot désireux de se construire cette terrible et inutile chose qu’on appelle « une opinion », dans une époque où l’on exige de chacun qu’il s’exprime sur tout.

La critique cinéma, nous rappelait Elliot Mini, est un genre littéraire. La transformer en divertissement fut la première étape d’un dévoiement idéologique terrible. Même les vidéastes les plus honnêtes sont coupables de cette dérive prescriptive.

Ne soyons pas ingrats, je dois beaucoup à ces jeunes loups qui ont cru un temps à Youtube, à un autre médium, une autre culture, avant d’être assimilés par la TV et les sponsors. Mais je ne me désabonne pas pour rien: je veux maintenant grandir hors d’eux et de leurs névroses.

Je doute que lorsqu’il théorisa le « critique en tant qu’artiste », Oscar Wilde s’attendait à ce que la réalité aille au-delà de ses prédictions. Peut-être parce que le critique actuel n’est pas tant un artiste qu’un show-man, un clown, un prédicateur.

Honnêtement, les seuls qui trouvent encore grâce à mes yeux sont les vidéastes femmes. Leur statut implique une plus grande prudence, car elles se savent attendues au tournant par tous les trolls et misogynes de la Terre. Mais ce cadre contraint leur permet d’atteindre une qualité supérieure. Rien ne canalise mieux la création qu’un terrain hostile. Elles ne sont pas à l’abri des défauts cités plus haut, mais leur relative discrétion les empêchent de causer les mêmes torts que leurs homologues masculins, du moins pour l’instant.

Que l’on soit homme ou femme, les vidéastes sont surtout contraints par l’absurdité des conditions de la plateforme toujours plus tournée vers le profit. De là découle peut-être leur préférence pour les films populaires et les controverses, souvent issues d’internet, s’enfermant ainsi toujours un peu plus dans une chambre d’échos. Pour désapprendre leurs mauvaises habitudes, la plateforme doit changer.

Il n’en demeure pas moins que laisser la responsabilité de la critique cinéma aux mains d’amuseurs tous plus ou moins descendants du Nostalgia Critic me parait dangereux. Car on oublie que la critique doit être une proposition, pas un programme rhétorique.

Pour reprendre les mots de l’inquiétant mais fascinant Durendal, le cinéma est un art de la manipulation. C’est d’autant plus vrai pour la vidéo Youtube. Méfiez-vous toujours, même de propos avec lesquels vous seriez d’accord, lorsqu’ils sont soutenus par un montage, du son, et de l’image.

Combien de fois ai-je entendu « j’ai pas le même avis mais qu’est-ce qu’il argumente bien ». La critique cinéma sur internet n’est plus un échange mais un combat rhétorique de petits coqs, où c’est celui qui aura le meilleur montage, la meilleure punchline, qui décidera de la place que tiendra un film dans l’esprit des jeunes générations. Nous ne sommes pas sortis de la cour de récréation.

La critique écrite comporte aussi son lot d’égos surdimensionnés et d’hypocrisie dépendant de qui possède les capitaux du journal mais l’on peut davantage se distancier d’un texte imprimé que d’une œuvre audio-visuelle.

Ces critiques Youtube sont des auteurs et c’est en tant qu’auteurs que nous devons les juger, pas en tant que détenteurs d’une faconde absolue, surtout quand la plupart sont des autodidactes, des diplômés d’école de cinéma en quête de carrière ou des cinéastes frustrés. La frustration est un moteur efficace de création mais dangereux quand il est alimenté par une âme vindicative.

Nous devons nous éloigner de cet univers ne fonctionnant que par l’invective et l’agressivité. Nous savons qu’Internet n’est pas tant le reflet de la nature humaine qu’une direction forcée par des créateurs d’algorithmes mus par une idéologie de droite libérale où la compétition est une vertu cardinale et le darwinisme sociale un culte.

Peut-être que la Critique Cinéma sur Internet ne pourra véritablement évoluer que par une refonte fondamentale du médium lui-même. Car nous le savons mieux que jamais encore dans l’histoire de l’humanité ; le médium est le message.

  • Guillaume Babey